Alfhild ₹ The Social Network

la circonstance de ton trépas ? Elle sortait du boulot quand c'est arrivé. Ou elle y allait. C'est confus dans son esprit, elle perd l'ordre des choses, le sens de la chronologie. Elle sait juste qu'elle marchait comme tous les soirs dans cette ruelle qui l'amène au bar où elle bosse. Elle sait juste que, cette fois, elle a entendu un bruit derrière elle ; des pneus qui crissent, des freins qui frottent, un moteur qui s'emballe. Puis le silence. Un silence total, comme elle n'avait jamais entendu jusque-là. Un silence calme, paisible, comme si le monde lui-même avait cessé d'exister. Elle a senti le choc contre ses jambes, elle a senti son dos une plaque de métal, elle a senti le verre se briser sous son crâne. Mais elle ne se souvient pas avoir eu mal, elle ne se souvient pas avoir ressenti quoique ce soit d'autre qu'une légèreté absolue, qu'une sensation de quitter les entraves du matériel. Ça a duré quelques secondes, suffisant pour qu'elle expérimente le paradis et l'enfer.
des réminiscences de la vie d'avant ? Y a des flashs qu'elle discerne à peine, des odeurs qu'elle se souvient avoir déjà senti, et des visages qui lui semblent familiers sans qu'elle ne parviennent à mettre un nom dessus. C'est des souvenirs nébuleux, plongés dans un brouillard permanent, comme venant d'une autre vie. Quand elle s'installe derrière son comptoir, quand elle aperçoit un visage lui sourire. Elle ne saurait le décrire, mais c'est comme un sentiment de déjà vu, comme si cette situation s'était déjà déroulée à plusieurs reprises alors qu'elle n'a jamais rencontré la personne. Des souvenirs d'une autre vie qu'elle associe aux années de coma qu'elle s'est imaginée. Parce que c'est la seule solution plausible pour expliquer tout ça, parce qu'elle a survécu à cet accident. Parce qu'elle se souvient du contact entre la voiture et ses jambes. Parce que, quand elle s'endort, elle sent encore le choc, elle sent encore ses os se fissurer et sa peau se déchirer. Et elle se réveille, la main sur le crâne, comme s'il était prêt à se disloquer d'une minute à l'autre.
si vous voulez ajouter quelque chose, vous êtes libres de le faire sous la forme que vous le souhaitez. les morts ne sont cela dit, pas censés se souvenir de leur vie, donc restez le plus vague possible.

Elle est seule. Seule face à ce vide qui lui ronge la poitrine, seule pour essuyer les larmes qui glissent le long de ses joues rougies, seule pour calmer le palpitant qui s'emballe plus que de raison. Mais elle en est incapable la gamine. Elle est incapable d'encaisser le choc d'une vie qui a décidé de jouer aux putes avec elle, de lui retirer ce qui devenait petit à petit le centre de son existence. Alors elle se contente de s'asseoir à même le sol, le dos collé contre son lit, et de remonter les genoux jusqu'au visage pour masquer autant que possible les yeux abîmés par les pleurs, les lèvres tremblant dans une agonie que personne ne voit. Elle se contente de laisser passer le temps, d'espérer qu'il fasse un effet quelconque sur elle, qu'il empêche le couteau de remuer dans la plaie béante qu'elle a en plein cœur. Parce qu'elle l'aimait. Elle l'aimait, même si elle n'a jamais osé glisser ces mots au travers de ses lèvres. Et elle voulait voir quelque chose se créer réellement, sans aucun faux semblant, sans aucun ''à peu près''. Mais tout ça, elle l'a détruit. En un claquement de doigts. Pour une carrière qu'elle n'imaginait pas voir passer devant elle. Pour une carrière qui est passée avant elle, avant ses sentiments, avant elles. Et entre deux souffles, elle reste concentrée sur cette idée, Cali l'a abandonnée.

Les derniers sourires s'affichent sur les visages alors que l'agent de sécurité escorte les quelques clients restés jusqu'à la fermeture à la sortie du bâtiment. Et enfin, elle peut souffler, respirer un peu, faire disparaître ce sourire qui lui endolore les joues. Enfin elle peut boire un verre, avant que l'heure du nettoyage ne commence. Et avec ses collègues, elle s'autorise souvent une partie de billard, ou de fléchettes. Tout est bon pour s'aérer l'esprit, se changer les idées. Avant de terminer le boulot pour la journée. Et comme toutes les nuits lorsqu'elle termine son service, elle sort par la porte de service qui débouche sur une ruelle. Une ruelle déserte, sans aucune vie pour déranger la blonde ensommeillée. Et comme à chaque fois, elle longe cette rue, le regard plongé sur son téléphone portable. Jusqu'à ce qu'une lumière ne vienne briser l'ambiance de la ruelle, jusqu'à ce que le bruit d'un moteur fou ne vienne briser le silence. Jusqu'à ce qu'elle sente le pare-choc lui heurter les jambes, l'entraîner en arrière. Le dos qui heurte le capot de la voiture, sa tête qui vient s'écraser contre le pare-brise. Les éclats de verre qui lui rentrent dans la peau, passent entre les os fissurés pour se figer dans le cerveau. Et il y a cette douleur lancinante quand elle se réveille dans son lit, en sueur, la main sur un crâne qu'elle sent entier, mais qu'elle sent brisé.